Paris est une (dé)fête

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Marre de ton travail ? Pas seulement le tien d’ailleurs. Pas une question de conditions de travail ou de salaire. Non, non, c’est plus profond que ça.
C’est le travail en soi qui te gave !
Ton existence construite autour, plus le temps de rien faire entre le temps du travail, du loisir et de l’oubli !
T’inquiète, normal. Le capitalisme qu’on appelle ça !
On est tous, à peu de choses près, dans la même mouise.

Rien d’autre que de la Chair à travail.
Viens faire un tour dans l’abattoir !

Quiconque s’est un tant soit peu confronté au travail sait l’éternel retour de la question du lundi. Au seuil des locaux, devant la machine à café ou appesanti par l’atmosphère de la salle de repos, ça revient, implacable :

— Alors ton week-end, c’était comment ?

Parfois, elle prend la forme d’une question fermée :

— On a fait quoi de beau ce week-end ?

Ne laissant alors pas d’autres choix au répondant que d’en décrire les aspects les plus attrayants. D’autres fois, la question est suscitée après qu’une ou plusieurs personnes ont entrepris de raconter le leur, de week-end, elles vous passent alors subtilement le relais :

— Et toi alors?

Vous mettant au défi de capter aussi bien l’audience qu’elles ont su le faire.

Question de distinction, à défaut d’être, paraître, arborer un sourire, le plus large possible, et raconter avec force de détails les évènements qui ont émaillé vos 60 dernières heures, en les faisant passer pour les plus extraordinaires possibles.

Brandir son téléphone : exhiber des diapo’s, c’est recommandé. L’image, comme tout le monde le sait, c’est la vérité. Ça ne raconte pas de craques, les images surtout s’il s’agit de quelque vidéo mal cadrée. Le meilleur moyen de prouver que n’êtes pas simplement cet obscur collègue à côté de qui on s’emmerde au boulot, cette silhouette hâve qu’on croise de temps à autre dans les couloirs, que si vous vous crevez plus ou moins à la tâche, ce n’est pas pour rien ! Que vous avez, à côté de ça, une vie remplie selon les normes, foisonnante de voyages, d’aventures, riches de connaissances, de relations et d’amis de toutes sortes.

Et toi du coup, tu racontais quoi à tes collègues télévendeurs ?

… ce week-end ? C’était l’éclate ! Ça a commencé en trombe, vendredi soir, dès que j’ai terminé le taf, j’ai enchaîné. Pas le temps de rentrer, se poser chez soi, ça, c’est pour les ringards, non, non, d’abord aller se ressourcer dans la verdure, un parc en plein cœur du 10e arrondissement. Se poser sur un banc avec une fontaine à côté, le grand luxe. De quoi boire, se laver aussi ! Après cette reconnexion avec la nature, on enchaîne avec le Mhajbi. Personne ne connaît ? Ah bon ? C’est un must pourtant ! Moins de 5 euros pour se remplir la panse, et puis c’est typique ! Visez-moi ce plat traditionnel tout enroulé dans du cellophane ! Oui, oui, c’est comme un sandwich. Farci qu’on appelle ça ! Où est-ce que j’ai pris la photo ? Ah là, c’est leur terrasse, enfin un genre de terrasse, tu sais c’est très concept leur truc, c’est le square, à Couronnes, pas loin de la bouche de métro, les vendredis soirs tu as une de ces ambiances tamisées, pour ça que la photo elle est quali’. C’est le lampadaire qui donne cet effet. Oui, carrément, tu en vois passer du monde là-bas, c’est la bringue que je te dis, villageoise et 8.6 coulent à flots. Avec modération, bien sûr. Par contre, ne pas trop traîner au même endroit, c’est ça l’esprit de la fête, bouger, découvrir, explorer. Sentir les soirées, comment elles évoluent, ça ne va pas de soi. Tout un art. Le secret d’un week-end réussi ! Tu bouges tout le temps, tu vas d’un coin à l’autre, tu fais tout Paris avec ton sac sur le dos. Tu passes comme ça, en claquant des talons, des quartiers branchés aux rues cradingues. Ça ne s’arrête jamais que je te dis ! Après le truc, enfin le mieux, c’est quand même de rester dans les coins où c’est le mieux éclairé. On n’appelle pas Paris la Ville lumière pour rien, pas vrai ?

Bon une fois que tu as terminé le tour des arrondissements, ne pas s’arrêter en si bon chemin, surtout pas. On n’est pas des couche-tôt, encore moins des rabat-joies, pas vrai ? Là vers une heure du mat’, tu chopes le dernier RER B, çui qui va sans arrêt à l’aéroport. Un passage obligé ! Non, non, aller à l’aéroport pour prendre l’avion ? Trop classique, ça. Vulgaire même. Non, à l’aéroport, il y a un super bon plan que personne ne connaît. Regardez ! Il n’est pas ouf le selfie que j’ai pris sur la banquette de Roissy ? C’est confort, je ne te raconte pas ! Une ambiance cosy d’after-party. Ils ont un service là-bas, au top ! Après, faut avoir les codes. Tu as des techniques avec les agents. D’abord, être un minimum bien sapé, parce que tu comprends, c’est select. Au moindre doute, ils te foutent dehors, les agents de l’aéroport, ils te prennent pour un de ces clodos qui viennent y passer la nuit. Non, vraiment. On ne peut pas savoir tant qu’on n’y a pas été. Se faire réveiller par les annonces des haut-parleurs de l’aéroport, une expérience unique ! Oui, oui, tu as un peu le dos en compote, tu ne te tiens pas droit, le matin, mais vous savez ce que c’est les lendemains de cuite, dans le brouillard ! Les inconvénients de la vie nocturne.

Quoi ? Vous croyez que ça se finit là ? Oh que non, ça, c’est rien que la nuit de vendredi à samedi ! Après, retour à Paris ! Par le dernier Noctilien, il part vers 6 heures du mat’, le chauffeur, un crack, il roule tout doucement, il prend son temps, c’est le luxe ! Il te dépose à la gare de l’est vers 7 heures 30, là, tu as Paris qui se réveille tranquillement, tu marches alors par les rues et tu vois les tentes, les gens enroulés dans leurs sacs de couchage, la vraie vie ça, le camping urbain, vous ne connaissez pas ? Très tendance pourtant.

D’ailleurs, en parlant de trucs tendance, vous avez déjà fréquenté les bains-douches parisiens ? Y en a plein, le meilleur ? Je ne sais pas trop, ils ont tous leurs qualités et leurs défauts : Bidassoa, Rome, rue de Meaux. Le choix ne manque pas. Moi, en général, c’est à celui de Jean-Pierre Timbaud que je vais, regardez, là c’est moi avec l’agent d’accueil. Une crème çui-là, dès que tu rentres, il te dit direct : pas plus de 20 minutes ! Consciencieux, le gars, ni bonjour ni rien, focus sur son boulot ! Comment c’est à l’intérieur ? Des douches nec plus ultra, avec un bouton pour l’eau et un variateur. Et l’eau, aucune pression, c’est pour te caresser, t’envelopper, tu comprends ? Et que comme ça quand tu sors de la douche, sans dépasser les 20 minutes, tu as le frais du matin parisien qui t’inonde ! Tu te sens mieux pour sûr ! Par contre, là, tu as ton bidou qui commence à se signaler, la faim, forcément, la vie nocturne et urbaine, ça creuse. Là tu n’as qu’à prendre un p‘tit quelque chose, un croissant à 90 centimes, dégotter une terrasse qui ouvre avec le café à deux balles minimum. Tu tempes, tu bois. Par contre faut pas trop rester comme ça, parce que sinon, tu as un peu la tête qui tourne. La fête ce n’est pas tout, un peu de culture dans nos existences, c’est nécessaire aussi. Tu te cherches alors une bibliothèque, là où tu peux pioncer, une adresse ? La BPI, il n’y a pas mieux. Alors pour rentrer, c’est chaud, surtout le dimanche. Normal, c’est très demandé, très branché, mais dès que tu y es, tu pionces comme un prince. De quoi bien récupérer de la veille, et surtout préparer celle qui vient !

Quand ça s’arrête ? Bah oui forcément, il y a une fin à tout ! Reprendre des forces pour attaquer la semaine dans les meilleures conditions. Moi, c’est le dimanche après-midi, j’ai un lit réservé dans une auberge underground, Le Lori, à Bobigny. Une ambiance au top ! Ils ne font pas dans le chichi, eux, à l’ancienne, un lit, des draps qu’on change qu’une fois par semaine. Du vintage, du old-school je dirais même. C’est vrai que ça fait du bien de retrouver les trucs essentiels parfois, la base quoi ! Ça ? Bah c’est un week-end tout ce qu’il y a de plus banal hein. Depuis que je suis revenu à Paname, ça se passe comme ça ! Oh ça fait presque un mois, là. Vous le savez, c’est bien connu, Paris est une fête !

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